« La caricature reflète, comme dans un miroir déformant, une image de la société régnante, de ses vices et de ses vertus, et pour finir de sa banqueroute. Armée du réalisme qui lui est propre - fondé sur l’exagération et la simplification- elle permet de saisir, parfois avec plus d’acuité encore que les documents historiques eux-mêmes, l’esprit de l’époque », Ronald Searle, La Caricature, Art et Manifeste, Paris, Skira, 1974.
Le mot caricatura vient du latin populaire caricare, charger, exagérer, lui-même issu du gaulois carrus, char. Il s’agit pour l’auteur d’une caricature d’exagérer un fait, de l’accentuer, de dresser un portrait « à charge ».
La caricature repose sur différentes techniques de représentation : la caricature de type, le portrait-charge, et la satire de mœurs. Elle dispose ainsi de différents procédés pour créer un effet comique et provoquant : anthropomorphisme, zoomorphisme, parodie etc …
Au Moyen Âge la caricature est très présente dans les sculptures extérieures et intérieures des églises, mais également nombreuses aux marges des registres manuscrits : personnages grotesques, animaux fantastiques ou symboliques… On distingue ainsi la lettrine historiée (lettre initiale illustrant par son graphisme le texte qu'elle accompagne) des drôleries et autres grotesques. Les grotesques correspondent en effet à un type d'enluminures décoratives représentant une scène de fantaisie plus ou moins comique, sans forcément de rapport avec le texte. Elles sont très fréquentes depuis le milieu du XIIe siècle et perdurent jusqu'au XVe siècle, même si on les trouve aussi dans des manuscrits, plus tôt et plus tard.
En France l'imprimerie s'introduit dès 1470, d'abord à Paris, à la Sorbonne et ensuite à Lyon. Au XVIe siècle les imprimeurs sont souvent des libraires, installés dans les grandes villes et dans les quartiers universitaires. Outre la transmission des connaissances, l’imprimerie facilite et accélère la diffusion de l’information, celle officielle bien sûr, mais également celle interdite, au travers de nombreux pamphlets et autres images satiriques.
Ainsi,très vite, la gravure est utilisée à des fins de propagande, notamment après le choc de la réforme de Luther qui déclenche la contestation systématique des pouvoirs établis et des autorités religieuses. Des gravures peuvent soit être insérées dans des pamphlets (elles étaient alors de petite taille et anonymes), soit dans des affiches accompagnées de textes virulents ou de chansons, sur des feuilles volantes imprimées pour faire passer des idées. Henri III est ainsi victime d'une campagne de caricatures précédant son assassinat.
Sous l'Ancien régime, les caricatures politiques sont donc produites de plus en plus souvent en feuilles volantes (libellés). Elles peuvent être exposées à la vue des passants dans les étals de marchands d'estampes, vendues à la pièce dans la rue par des crieurs et transportées clandestinement par des colporteurs. A l'époque, les images sont vendues sans autorisation ni privilège royal et peuvent être saisies. Les dessinateurs, sculpteurs et graveurs clandestins font tous preuve d’originalité dans le choix de leurs pseudonymes.
«Au début du 17e siècle, le dessin politique, gravé à l’eau-forte, emprunte encore beaucoup d’éléments au vocabulaire des allégories savantes ; au 18e siècle, pendant la Révolution française, sous l’influence de l’imagerie anglaise et de la brutalité des évènements, les gravures, très coloriées, se simplifient et deviennent plus facilement lisibles. », Annie Duprat dans son Histoire de France par la caricature, Larousse, Paris, 1999. La Révolution de 1789 va multiplier ces images (mille cinq cents gravures satiriques entre 1789 et 1792) et la demande suscitée par l'actualité va être à l'origine d'un appareil de production organisé. Le siècle des Lumières a confirmé le langage politique porté par le dessin satirique.
Les périodiques illustrés se développent. Le destin de la caricature politique est désormais uni à celui de la presse. Les périodiques les plus connus sont La Caricature et Le Charivari. Les caricaturistes énervent le pouvoir. La loi du 9 septembre 1835 rétablit la censure pour les dessins, gravures et lithographies. L'Empire l’applique également avec rigueur. Il faut attendre la nouvelle loi sur la presse de 1868 pour assister à une floraison de journaux satiriques. L’historiographe Champfleury note d’ailleurs dès 1865 dans son Histoire de la caricature moderne qu’ « un simple trait de crayon […] en apprend presqu’autant que l’histoire ». C’est la loi du 29 juillet 1881 qui institue enfin la liberté d’expression, après un siècle de décisions plus ou moins contradictoires et de différents degrés de censure. Elle va ouvrir la porte, et ce de manière sans précédent, à une avalanche de caricatures et l’accroissement d’une presse de plus en plus satiriste.
La fin du XIXe siècle voit donc en France l'avènement de la presse marchandise et le développement de la presse populaire. La presse satirique subsiste : de 1901 à 1914, l’Assiette au Beurre, hebdomadaire de seize pages en couleurs à tendance anarchiste, constitue l’aboutissement de la caricature sociale et de mœurs. Chaque numéro, confié à un seul dessinateur ou à un groupe de collaborateurs de la revue (parmi eux de futurs grands peintres comme Van Dongen, Juan Gris, Félix Valotton), traite d’un seul thème. Les dessins y sont généralement présentés en pleine page, ce qui accentue leur charge graphique.
Le début du XXe siècle marque le début de la production en masse des cartes postales. C’est à la fois le support idéal pour correspondre et il devient aussi objet de collection. La carte postale, comme le dessin de presse va devenir un parfait vecteur de propagande. Tout sujet d’actualité, tout évènement, tout lieu même infime peut connaître une édition sur carte postale.
« D’août 1914 à la fin de l’année 1915, de très nombreuses cartes postales satiriques visant à stigmatiser ou ridiculiser l’ennemi sont publiées, en France comme en Allemagne, contribuant ainsi à conditionner les esprits et à favoriser l’émergence d’une culture de guerre. Aucun excès ne semble avoir arrêté les illustrateurs français dans leur haine de l’Allemagne, qui se focalise largement sur la personne de l’empereur Guillaume II. Il n’est pas sûr que cette propagande ait toujours atteint ses objectifs. Sa niaiserie, sa violence, son caractère répétitif devaient finir par lasser. On se souvient du dégoût de Gide devant la bêtise de certaines cartes postales. Les combattants semblent aussi dans l’ensemble avoir jugé très négativement cette propagande, en particulier celle qui insiste sur la lâcheté du soldat ennemi. Présenter le soldat allemand comme un pleutre revenait en effet par ricochet à remettre en cause le courage et l’héroïsme du combattant français. A contrario, la propagande allemande apparaît nettement plus modérée. Insistant principalement sur l’invincibilité des armées du Reich, elle cherche surtout à minorer la force des ennemis, fréquemment figurés comme des nains ou des éclopés. En Allemagne aussi des doutes apparaissent sur l’efficacité de ce type de propagande et, en définitive, le Grand Etat-major choisit de l’interdire purement et simplement. » Les cartes postales satiriques pendant la Première guerre mondiale - Etude comparée des représentations de l’ennemi en France et en Allemagne, par Pierre BROULAND, Maître de conférence, Faculté des relations internationales, Université d’Economie de Prague.
Le mouvement de mai 68 permet à une jeune génération de s'exprimer dans une presse alternative et parallèle comme Hara-kiri et Charlie-hebdo, sur le registre de la provocation vis-à-vis du public bien-pensant et de ses valeurs. On assiste à une mutation : le statut et les pratiques des dessinateurs de presse évoluent. Les caricaturistes revendiquent alors un statut de dessinateurs-journalistes.
Même si certains dessins semblent de plus en plus aérés, même si le trait semble parfois se faire plus simple, plus léger, plus directif et toujours provocant, le propos porté n’en reste pas moins chargé en contenu. Le but est bel et bien de provoquer une réaction par l’image. Ce n’est pas parce que la caricature ne comporte pas de textes qu’elle se veut un message simpliste et universel. Comme les lettres et les mots qui forment phrases et sens, le dessin attend une interprétation par celui qui la voit. La lecture d’une caricature demande une certaine éducation à l’image, un esprit formé à la critique et un sens de l’autodérision que tous ne possèdent pas assez. L’actualité nous montre malheureusement trop souvent encore qu’intelligence et humour ne sont pas l’apanage de tous.
L'histoire est inséparable de ses images, et les images ne sont jamais aussi libres et inventives que lorsqu'elles deviennent caricatures.
Pour faire croire l’impossible, il faut paraître crédible.
Du XVIe siècle à nos jours, tous les prétextes sont bons pour rire des grands de ce monde. L’image n’est en définition pas la réalité, elle n’est qu’un reflet. Pourtant la distance est difficile à tenir entre ce que l’on veut montrer et ce qui s’avère être vrai. Les caricaturistes jouent là-dessus. Ils exagèrent des traits de la réalité pour créer une nouvelle dimension de celle-ci. Montrer c’est mettre en scène, c’est faire croire. L’amalgame est constant entre des faits réels et la façon dont ils sont exploités. Lorsqu'elle devient politique, la caricature est une arme, un véritable contre-pouvoir, en dépit du poids d'une censure longtemps présente, en France comme ailleurs. Une certitude : l’histoire ne s'élabore pas seulement par les textes.