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Archives et inventaires en ligne

Les plus anciens documents de l'Hérault

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Diplôme de Louis le Pieux (819)

Quatre documents en parchemin concernant les abbayes de Gellone et d'Aniane, restés dans la famille du syndic de l'abbaye d'Aniane depuis l'époque révolutionnaire, ont été remis aux Archives départementales de l'Hérault par M. de Benoist de La Prunarède le 5 mai 1993. Restaurés par les Archives nationales, ils sont aujourd'hui conservés sous les cotes 1 J 1014 à 1017 aux archives départementales, où ils complètent les fonds des abbayes d'Aniane et de Gellone conservés dans les sous-séries 1 H et 5 H. Parmi eux se trouvent les plus anciens documents originaux conservés dans le département.

Il est possible de retrouver leur trace avant la Révolution grâce aux inventaires établis par les religieux. Le premier de ces documents figure en tête de l'inventaire des archives de l'abbaye de Gellone dressé en 1783 (ADH, 5 H 1, layette A 1) et a également été transcrit dans son cartulaire (ADH, 5 H 8, fol. 64). Les trois suivants étaient conservés dans la layette A 1 des archives de l'abbaye d'Aniane, respectivement sous les numéros 3, 5 et 4, et répertoriés dans l'inventaire des archives établi en 1790 (ADH, 1 H 48). L'un de ceux-ci - le diplôme de Louis le Pieux du 9 mars 819 - est également transcrit dans le cartulaire d'Aniane (ADH, 1 H 1, fol. 18).


Donations par le comte Guilhem à l'abbaye de Gellone, 14 décembre 804 (1 J 1014) et 15 décembre 804 (1 J 1015)

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Donations par le comte Guilhem à l'abbaye de Gellone (14 décembre 804) : acte faux du XIe ou XIIe siècle

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Donations par le comte Guilhem à l'abbaye de Gellone (15 décembre 804) : acte faux du XIe ou XIIe siècle

Les textes de ces deux documents ont été publiés dès le XVIIe siècle par Mabillon (Acta Sanctorum ordinis Sancti Benedicti, saec. IV, pars prima, p. 88), et plus récemment dans l'Histoire générale de Languedoc (t. 2, col. 65-67 et 67-68). Ils ont été longuement étudiés par les historiens depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, en particulier par Pierre Chastang qui y a consacré une partie de sa thèse. Celui du 14 décembre 804 figure également dans l'édition du cartulaire de Gellone (n° 160, p. 144-146). Les documents aujourd'hui conservés aux Archives départementales avaient par ailleurs été communiqués par le marquis de La Prunarède à C. Révillout, qui les a transcrits dès 1875 en annexe à son étude sur la Vie de saint Guillaume, avec le recensement des variantes par rapport à une copie plus tardive du diplôme d'Aniane conservée aux archives départementales (1 H 2) et par rapport au cartulaire de Gellone (5 H 8).

Des transcriptions récentes de ces actes du 14 décembre 804 et du 15 décembre 804 sont disponibles dans la base de données des chartes originales antérieures à 1121 conservées en France sur le site Telma

L'authenticité de ces documents a été depuis longtemps abondamment commentée, car ils sont un élément majeur dans la querelle qui opposa au Moyen Âge les deux abbayes.

Chanté par les trouvères sous le nom de Guillaume d'Orange, le comte Guilhem s'était retiré du monde et avait fondé l'abbaye de Gellone au diocèse de Lodève et celle de Canova (Goudargues) au diocèse d'Uzès. Il finit sa vie dans la première et se mit sous la conduite de saint Benoît d'Aniane. Située à quelques lieues de Gellone, l'abbaye d'Aniane s’engage à partir de 1060 dans une lutte avec Gellone pour affirmer son autorité sur cette dernière, profitant de l’incendie du chartrier de sa voisine pour produire des actes en ce sens. Pourtant, dès 1068, les papes vont toujours donner raison à Gellone, confirmant l'indépendance des deux abbayes sans parvenir pour autant à mettre fin à la querelle. De ce différend résulte une intense activité documentaire de la part des deux scriptoria dont les cartulaires et les chartes qui nous sont parvenus témoignent.

C'est donc dans ce contexte que seraient apparus les deux documents de 804. La donation du 15 décembre 804, présentée par Aniane, insiste en effet lourdement sur le fait que Gellone est une simple cella sous la soumission d'Aniane et que les biens lui sont donnés sous réserve de cette obéissance. On n’y fait mention que de Guilhem (et non du comte Guilhem), placé sous la guidance spirituelle de saint Benoît d’Aniane. Au contraire, la donation du 14 décembre 804 est faite directement à Gellone, par le comte Guilhem cette fois, sans aucune mention d'Aniane ou de saint Benoît. Paul Tissier, qui a longuement examiné la question dans son étude sur l'abbaye de Gellone (p. 42-59) suggère que les moines d'Aniane ont profité de l'incendie des archives de Gellone vers 1060 pour créer un faux, peut-être en remaniant un document réellement existant à Aniane, auquel ils auraient substitué leur production. Pour Pierre Chastang, qui a repris l’étude diplomatique dans sa thèse, le document de Gellone pourrait être vrai. Il s’agirait plus vraisemblablement d'une copie figurée d’un document du IXe siècle, remanié pour y inclure la mention de la cella de Gellone. Vers 1070, les moines de Gellone auraient répliqué en créant à partir de ce faux un autre faux, en remaniant le texte pour y effacer toutes les traces de sujétion envers l'abbaye d'Aniane. Notons que si le diplôme créé par Gellone ne résiste pas longtemps à la critique diplomatique (par sa forme, sa langue, ses incohérences internes, ses erreurs de dates etc.), celui d'Aniane en revanche est beaucoup plus vraisemblable.

Il fallut encore des actes des papes Calixte II (1124), Eugène III (1146) et Alexandre III (1164) pour réaffirmer l'indépendance des deux abbayes et transformer, dès le XVIIe siècle, cette querelle d'autorité en querelle d'érudits, aux prises avec les falsifications ou interprétations laissées par les religieux.

 

Donation de Braidingus au monastère d'Aniane, 7 janvier 813 (1 J 1016).

Le troisième document remis par M. de La Prunarède est l'acte de donation à l'abbaye d'Aniane par un certain Braidingus de biens considérables, correspondant sans doute à plusieurs centaines d'hectares - témoignage de la persistance à l'époque carolingienne de grands domaines du type de ceux de l'époque gallo-romaine.

Cet acte du 7 janvier 813 a été publié par Mabillon (Annales ordinis sancti Benedicti, t. 2, append., pièce 40) et dans l'Histoire générale de Languedoc. Une transcription récente est disponible dans la version en ligne de la base de données des chartes originales antérieures à 1121. (t. 2, col. 75-79, d'après l'édition de Mabillon).

D'après cette base de données, il s'agirait d'une copie. La variété des écritures des souscripteurs, qui tranchent par leur archaïsme avec la minuscule caroline employée par le scribe, incite à la prudence : une analyse diplomatique précise reste encore à mener.

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Donation de Braidingus au monastère d'Aniane (7 janvier 813) : acte faux ou plus ancien document du département ?

Diplôme de Louis le Pieux confirmant les dispositions prises par les abbés d'Aniane relatives à l'élection des abbés de Bellecelle, en Albigeois et étendant à leur établissement l'immunité dont jouit le monastère d'Aniane, 9 mars 819 (1 J 1017)

Le dernier acte remis par le M. de La Prunarède est en revanche bien authentique : personne en effet ne conteste son caractère original. Ce diplôme impérial daté du 9 mars 819 à Aix-la-Chapelle présente encore la trace d'un sceau rond plaqué. Il a été transcrit dans le cartulaire d'Aniane  (5 H 8, fol. 18), et publié par Mabillon (Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, saec. 4, pars prima, p. 220), dans l'Histoire générale de Languedoc (t. 2, preuves, col. 124-125) et par les éditeurs du cartulaire d'Aniane (acte 7, p. 50-51). Il est répertorié dans la base de données des chartes originales antérieures à 1121

Il concerne le monastère de Bellecelle, fondé à Castres (Tarn) par Ulfarius, comte d'Albigeois. Benoît d'Aniane y établit douze religieux, avec un abbé qui doit gouverner l'abbaye sous l'autorité de l'abbé d'Aniane. Benoît établit que l'abbé de Bellecelle sera toujours choisi parmi les religieux du monastère de Bellecelle, mais qu'en cas de désaccord l'abbé d'Aniane interviendra dans le choix. Il spécifie également que l'abbé d'Aniane aura droit d'inspection et de correction sur celui de Bellecelle, et pour donner plus d'autorité à son règlement, il en demande la confirmation à Louis le Pieux, qu'il obtient le 9 mars 819. L'empereur prend en outre le monastère de Bellecelle sous sa protection spéciale et lui confère les mêmes immunités que celles accordées à Aniane.

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Diplôme de Louis le Pieux confirmant les dispositions prises par les abbés d'Aniane relatives à l'abbaye de Bellecelle (9 mars 819) : acte original

Bibliographie

ALAUS (Paul), CASSAN (abbé Léon) et MEYNIAL (Edmond), Cartulaires des abbayes d'Aniane et de Gellone publiés d'après les manuscrits originaux, Montpellier, J. Martel aîné, 1898-1900, 2 t. [ADH, BRC 115].

CHASTANG, Pierre, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc (XIe-XIIIe siècles), Paris, CTHS, 2001.

DEVIC (dom Claude) et VAISSETE (dom Joseph), Histoire générale de Languedoc, t. 2, éd. augmentée, Toulouse, Privat, 1875 ; rééd, 2003 [ADH, BIB 1896].

RÉVILLOUT (C.), « Étude historique et littéraire sur l'ouvrage latin intitulé Vie de saint Guillaume »,Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, t. 6, 1870-1876, p. 495-576 [ADH, PAR 1334].

SAINTE-MARIE (Martine), « Chartes carolingiennes d'Aniane et de Gellone », Études sur l'Hérault, t. 26-27, 1995-1996, p. 252-253 (avec photographie des quatre documents) [ADH, PAR 3714].

THOMASSY (Raymond), « Critique de deux chartes de fondation de l'abbaye de Saint-Guilhem-du-Désert », Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. 2, Paris, 1841, p. 177-187.

TISSET (Pierre), L'abbaye de Gellone au diocèse de Lodève des origines au XIIIe siècle, Paris, Sirey, 1933 ; rééd. avec une préface de jacques Latscha et Jean-Claude Richard, Millau, éd. du Beffroi, 1992 [ADH, CRC 267].

TOCK (Benoît-Michel), dir., La diplomatique française du Haut Moyen Âge : inventaire des chartes originales à 1121 conservées en France, Turnhout, Brepols, 2001, 2 t. [ADH, BIB 627-628]